ABUS SEXUELS SUR LES MINEURS COMMIS PAR DES CLERCS, CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET DIRECTIVES DE LA CECAB

ABUS SEXUELS SUR LES MINEURS COMMIS PAR DES CLERCS, CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES ET DIRECTIVES DE LA CECAB

Introduction

C’est un devoir et en même temps un droit pour l’Eglise de protéger et de défendre ceux que l’Evangile appelle les « petits » ou les « pauvres ».  C’est ce qu’on appelle dans la vision sociale de l’Eglise « l’option préférentielle pour les pauvres » (les vulnérables, les sens défense et marginalisés de la société !!). Cette option, qui est en fait une option dans le sens évangélique du terme, découle de la mission même du Christ (mission qui a été finalement confiée à l’Eglise). En effet, au commencement de sa mission, comme nous le trouvons dans le quatrième chapitre de l’Evangile selon saint Luc, Jésus révèle le contenu de celle-là : il a été envoyé par le Père pour « donner aux pauvres la bonne nouvelle, … annoncer la libération aux captifs, la lumière aux captifs, libérer ceux qui sont écrasés, et proclamer une année de grâce de la part du Seigneur » (vv.18-19).  Et dans le chapitre 25 de l’Evangile selon saint Matthieu, nous voyons le même Jésus qui s’identifie à ces petits. C’est dans le cadre du jugement final. Il dira à ceux qui sont à sa droite : « En vérité je vous le dis, tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi qui vous l’avez fait » (v.40); et à ceux qui sont à sa gauche, il dira: « en vérité je vous le dis, si vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que  vous ne l’avez pas fait » (v.45). Ainsi donc, faire le bien aux pauvres, petits, marginalisés, vulnérables, c’est le faire au Christ lui-même ; et offenser ces petits revient à offenser le Christ.

C’est  dans ce contexte que nous pouvons percevoir la gravité des crimes d’abus sexuel sur les mineurs, plus grave encore si ces abus sont commis par des clercs ou des religieux :  il s’agit d’une offense très grave à Notre Seigneur et à son Eglise (cf. François, Vos Estis Lux Mundi, introduction), d’une situation et d’une blessure douloureuse (Benoît XVI, Lettre pastorale aux catholiques d’Irlande, 1),  d’une barbarie (cf. CECAB, Directives relatives aux abus sexuels sur les mineurs commis par des clerc au Burundi, art. 5 &1),d’un scandale très grave qui mérite une lapidation : « Si quelqu’un devait faire chuter un de ces petits qui croient en moi, dit Jésus, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attache au cou une meule de moulin et qu’on le fasse couler au plus profond de la mer » (Mt.18,6). En effet, les enfants constituent l’un des groupes vulnérables que l’Eglise est appelée à protéger, pour qu’ils grandissent dans un climat vraiment sain et que leur innocence soit sauvegardée. N’est-ce pas d’eux que le Seigneur Jésus Christ avait dit un jour : « laissez les enfants et ne les empêchez pas de venir près de moi. Sachez que le royaume des Cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Mt. 19, 14) ?

La présente conférence veut rafraîchir notre mémoire, et non seulement cela, mais aussi et surtout éveiller notre conscience sur la question d’abus sexuels sur les mineurs, et surtout si ces abus sont commis par des clercs et/ou des religieux. Il s’agit de souligner la gravité de ces « crimes » (comme les appelle avec raison le Pape François dans Vos Estis Lux Mundi), leur impact négatif sur l’image de l’Eglise et du sacerdoce ministériel, ainsi que sur la crédibilité du message évangélique qui doit être annoncé. Nous verrons aussi les mécanismes prévus par l’Eglise, que ce soit au niveau universel ou au niveau particulier, pour lutter contre ce fléau.

En premier lieu, nous allons faire un contour général sur la question, pour voir la vision globale de l’Eglise sur la même question (considérations générales) et, en deuxième lieu, nous focaliserons notre attention sur les normes particulières en rapport avec la question au Burundi (Directives de la CECAB relatives aux abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs au Burundi).

A. Considérations générales

  I. « Abus sexuels sur des mineurs commis par des clercs » comme délit canonique

Le Code de Droit canonique de 1983, dans son deuxième paragraphe du canon 1395 nous dit que « le clerc qui a commis d’une autre façon un délit contre le sixième commandement du Décalogue, si vraiment le délit a été commis par violence ou avec menaces ou publiquement, ou bien avec un mineur de moins de 16 ans, sera puni de justes peines, y compris, si le cas l’exige, le renvoi de l’état clérical »[1]. C’est de ce canon que nous partons pour comprendre la réalité délictueuse de l’acte d’abus sexuel commis par un clerc à l’égard d’un mineur.

En effet,  conformément au canon 1321du Code actuel[2], nous voyons que l’abus sexuel commis par un clerc sur un mineur est véritablement un délit dans le sens canonique du terme : il s’agit d’une violation externe d’une loi ecclésiastique ((le sixième commandement du Décalogue =violant ainsi la loi de la continence parfaite et perpétuelle dans le célibat (can. 277 &1), avec comme cause aggravante commettre l’acte sur un mineur (= élément objectif du délit) pour laquelle est prévue une peine (justes peines, y compris, si le cas l’exige, le renvoi de l’état clérical = élément légal du délit), si après un procès pénal ou une procédure extrajudiciaire, est établie l’imputabilité (responsabilité =élément subjectif du délit) du clerc dans cette affaire.

Comme nous pouvons le constater, le Code dit que le délit existera tel qu’il est si la victime du délit est un mineur de moins de 16 ans. Néanmoins, le Pape  Jean Paul II, dans son Motu Proprio Sacramentorum Sanctitas Tutela du 30 Avril 2001, en même temps qu’il insérait ce délit dans la liste des delicta graviora (délits les plus graves) réservés à la Congrégation pour la doctrine de la Foi,  il éleva cet âge à 18 ans et la prescription (mécanisme juridique selon lequel un accusé ne pourra plus être poursuivi après un délai déterminé par la loi (prescription de l’action criminelle) ou ne pourra plus être sanctionné après la sentence condamnatoire (prescription de l’action pénale)) à 10 ans[3], à compter à partir du moment où la victime aura atteint 18 ans. Ce Motu Proprio fut révisé par le Pape Benoît XVI le 21 Mai 2010, portant ainsi la prescription à 20 ans, toujours à compter à partir du moment où la victime aura atteint 18 ans. Ce qu’il faut savoir sur la prescription, c’est que la Congrégation  détient la prérogative de pouvoir éventuellement la déroger « dans des cas particuliers »[4] .

  1. Ce qu’il faut entendre par « abus sexuel sur un mineur »

Dans le message envoyé aux membres du clergé et aux personnes consacrées le 28 janvier 2019, la Conférence des Évêques Catholiques du Burundi (CECAB) a défini les abus sexuels comme des « actes sexuels commis sur des mineurs ou des personnes faibles ou handicapées. Le mineur est généralement toute personne âgée de moins de 18 ans. C’est aussi tout sujet qui n’a pas habileté mentale et cognitive suffisante et qui n’a pas de capacité de décision et dépend des autres ». Néanmoins, continue la même Conférence, « cette expression « abus sexuel » est complexe car elle couvre non seulement les passages à l’acte, mais également les harcèlements à travers des paroles, des attitudes, des gestes, etc. » (n.6).

Et si nous consultons Google, nous y trouvons des approches définitionnelles comme celles-ci : « un abus sexuel sur un mineur est une action à caractère sexuel blessant ou risquant de blesser un garçon ou une fille, physiquement ou émotionnellement impliquant un partenaire adulte (…). Il comporte souvent un contact corporel, mais pas toujours (exhibition, contrainte morale ou pédopornographie). (…). La plupart des acteurs d’abus sexuels sur mineurs sont des hommes et des proches de la victime, voire des parents » (wikipedia.org) ;

« Par abus sexuel, on entend, selon la définition adoptée par les associations de sauvegarde de l’enfance, « toute utilisation du corps de l’enfant pour le plaisir d’une personne plus âgée que lui, quelles que soient les relations entre eux, et même sans contrainte ni violence »  (https://.senat.fr).

Toutes ces définitions nous donnent l’idée plus ou moins complète de ce qu’est le délit d’abus sexuel sur un mineur. Mais ce qui nous intéresserait plus serait d’avoir une conception juridico- canonique de ce délit, surtout quand l’acteur du délit est un clerc ; et cette conception se trouve dans le Motu Proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela art. 6, &1, 1º-2º.

Dans cet article, l’abus sexuel sur le mineur est décrit comme :         

    1º.  Le délit contre le sixième commandement du Décalogue commis par un clerc avec un mineur de moins de 18 ans ; est ici équiparée au mineur la personne qui jouit habituellement d’un usage imparfait de la raison ;

    2º.  L’acquisition, la détention ou la divulgation, à une fin libidineuse, d’images pornographiques avec un mineur de moins de 14 ans de la part d’un clerc, de quelque manière que ce soit et quel que soit l’instrument utilisé.

Et le Pape François, dans le Motu Proprio Vos Estis Lux mundi, décrit le délit de manière suivante :

    1º.  Accomplir des actes sexuels avec un mineur ou une personne vulnérable[5] ;

    2º.  Produire, exhiber, détenir ou distribuer, même par voie informatique, du matériel pédopornographique, ainsi que recruter ou inciter un mineur ou une personne  vulnérable à participer à des exhibitions pornographiques[6]

  1. Le contenu des termes « mineur » et « clerc »

Mineur

Comme nous l’avons déjà signalé, le premier critère pour déterminer que telle ou telle autre personne est mineure est d’ordre chronologique : en effet, est considérée comme mineure toute personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans[7]. Cependant il y a un autre critère pour déterminer qu’une personne est encore mineure, à savoir le critère psychologique. En effet, conformément au canon 99 du Code actuel, est équiparé à un enfant (celui qui ne peut pas se gouverner lui-même), et donc à un mineur[8], celui « qui manque habituellement de l’usage de la raison ». il s’agit des personnes qui sont complètement dépourvues de la lucidité ou ont des problèmes de trouble mental permanent, ne pouvant donc pas exercer personnellement leurs droits, sinon par leurs parents ou curateurs[9].

Clerc

Dans la discipline ecclésiastique actuelle, l’état clérical ne commence plus avec la tonsure comme il en était avant. Maintenant, comme l’indique le premier paragraphe du canon 266 du Code actuel, à la suite du Motu Proprio Ministeria Quedam de Paul IV de 1972, l’état clérical dans l’Eglise Catholique latine commence avec le diaconat[10] . Ainsi donc, le sujet du délit dont il est question dans notre exposé (abus sexuels sur les mineurs commis par les clercs) est soit un diacre, un prêtre ou un évêque.

     3.  Seraient-ils uniquement des clercs les abuseurs des mineurs ?  

Il me semble important de dire quelque chose sur cette interrogation, étant donné que les médias parlent presque uniquement d’abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Ici je vais partir des paroles du Pape Benoît XVI, dans sa lettre Pastorale aux catholiques d’Irlande. Il dit : « En réalité, comme de nombreuses personnes dans votre pays l’ont observé, le problème de l’abus des mineurs n’est pas propre à l’Irlande, ni à l’Eglise »[11]. Effectivement, le problème d’abus sexuel sur des mineurs n’est pas uniquement un problème qui s’observe dans l’Eglise Catholique, ni un délit commis uniquement par des clercs. Dans d’autres communautés chrétiennes autres que catholiques (les pasteurs abuseurs), dans des écoles maternelles, primaires et secondaires (les maîtres et enseignants abuseurs), dans des familles (les parents abuseurs), cette situation douloureuse, ce crime abominable, cette barbarie sans nom de perturber gravement l’innocence des mineurs existe. Néanmoins, quand ce crime est commis par un clerc, un ecclésiastique, cette personne qui a été configurée au Christ (ce Christ qui laissait toujours les enfants s’approcher de lui et qui les bénissait (cf. Mt. 19, 15)), le problème devient pire. Ceci est dû à la place ou au rôle du clerc dans la société.

En effet, comme l’ont rappelé les Évêques catholiques du Burundi, le clerc est et « doit être une personne de référence dans la société »[12] . Il doit toujours refléter l’image du Christ qui bénit, console, compatit, protège et relève les faibles, les opprimés et les vulnérables. Il doit incarner dans la société les valeurs évangéliques et humaines, devenant ainsi un éclaireur de la société. Comme Jésus Christ, il doit adopter une attitude de père devant tout enfant qui s’approche de lui, en générant en lui la confiance et la tranquillité, « en lui imposant les mains » (cf. Mt. 19, 15). Je pourrais ainsi dire que le clerc doit se sentir dans la société comme premier protagoniste dans la sauvegarde de l’innocence des mineurs et, c’est pour cette même raison que quand un clerc viole cette innocence des jeunes, cela devient un scandale très grave, un « délit plus grave ».

En fait, un clerc qui viole, par abus sexuel, l’innocence d’un mineur qu’il était appelé à protéger et à sauvegarder, est comparable à ces mauvais pasteurs qui se sont convertis en loups : « ils prennent soin d’eux-mêmes au lieu de prendre soin des brebis, se nourrissent de leur lait, s’habillent de leur laine et sacrifient celles qui sont grasses » (cf. Ez. 34, 2-4) ; et encore, il pourra être comparé à ces pharisiens et scribes contre lesquels Jésus a prononcé la malédiction suivante : « Malheur à vous (…). Vous fermez aux autres le Royaume des Cieux ; vous-mêmes n’y entrez pas, et quand un autre est sur le point d’y entrer, vous l’en empêchez (…). Vous parcourez la terre et les mers pour recruter un prosélyte, et quand il l’est devenu, vous en faites un candidat à l’enfer deux fois pire que vous » (Mt. 23, 13-15).

Ainsi donc, même si le sujet de ce crime d’abus sexuel n’est pas uniquement le clerc, je pourrais dire que le fait d’être clerc pourrait être considéré comme une circonstance aggravante, compte tenu de ce que nous avons déjà dit.  Le crime revêt dans ce cas d’un caractère plus grave, étant donné ce que le prêtre doit et devrait être dans la société. C’est à partir de cela que nous pouvons comprendre cette « colère sage et pastorale » du Pape Benoît XVI en s’adressant aux prêtres et aux religieux qui ont abusé des enfants en Irlande. Il dit :

« Vous avez trahi la confiance placée en vous par des jeunes innocents et par leurs parents. Vous devez répondre de cela devant Dieu tout-puissant, ainsi que devant les tribunaux constitués à cet effet. Vous avez perdu l’estime des personnes en Irlande et jeté la honte et le déshonneur sur vos confrères. Ceux d’entre vous qui sont prêtres ont violé la sainteté du sacrement de l’Ordre sacré, dans lequel le christ se rend présent en nous et dans nos actions. En même temps que le dommage immense causé aux victimes, un grand dommage a été perpétré contre l’Eglise et la perception publique du sacerdoce et de la vie religieuse. Je vous exhorte à examiner votre conscience, à assumer la responsabilité des péchés que vous avez commis et à exprimer avec humilité votre regret. Le repentir sincère ouvre le pardon de Dieu et à la grâce de véritable rachat. En offrant des prières et des pénitences pour ceux que vous avez offensés, vous devez chercher à faire personnellement amende pour vos actions, le sacrifice rédempteur du Christ a le pouvoir de pardonner même le plus grave des péchés et de tirer le bien également du plus terrible des maux. Dans le même temps, la justice de Dieu exige que nous rendions compte de nos actions sans rien cacher. Reconnaissez ouvertement vos fautes, soumettez-vous aux exigences de la justice, mais ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu »[13] 

II. La « feuille de route canonique »[14] pour lutter contre les abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs (traitement des cas : suivre les normes = pas plus de couvrir ; Prévenir)

Avant d’aborder le point, permettez-moi d’abord de tenter, en me basant sur la vision de nos pasteurs, une présentation des causes qui, selon moi, sont à l’origine de la gravité de cette crise liée aux abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs. En effet, c’est en connaissant le nœud de la problématique qu’on peut l’affronter avec un minimum d’assurance d’en trouver des remèdes efficaces.

    a) Les facteurs qui ont donné naissance à la situation dramatique actuelle

Le Pape Benoît XVI situe l’origine de la situation douloureuse d’abus sexuel sur les mineurs qui s’observe actuellement dans le contexte global de la transformation et de la sécularisation de la société. Dans sa lettre pastorale aux catholiques d’Irlande, il dit : « un changement social très rapide a eu lieu, qui a souvent eu des effets contraires à l’adhésion traditionnelle des personnes à l’égard de l’enseignement et des valeurs catholiques. Très souvent, les pratiques sacramentelles et de dévotion qui soutiennent la foi et lui permettent de croître, comme par exemple la confession fréquente, la prière quotidienne et les retraites annuelles ont été négligées »[15]. Comme le fait remarquer Benoît XVI, cette négligence généralisée de la pratique de la foi[16] a envahi aussi le milieu ecclésiastique, poussant ainsi certains prêtres et religieux à adopter « des façons de penser et à considérer les réalités séculières sans référence suffisante à l’Evangile ».  En plus, le même souverain Pontife souligne la mauvaise interprétation du programme d’aggiornamento proposé par le Concile Vatican II, programme qui a été des fois obscurci par les changements sociaux à grande vitesse qui se sont observés dans ces derniers temps.

Néanmoins, ces facteurs déjà cités sont, pourrais-je dire, d’ordre général. Les facteurs concrets qui ont donné naissance à la situation dramatique d’abus sexuels sur les mineurs sont, toujours dans la logique de Benoît XVI[17] :

1º. La tendance de la part de l’autorité ecclésiastique, tendance « dictée par de justes intentions, mais erronée »[18], à éviter les approches pénales à l’égard des situations canoniques irrégulières. Cela est une vérité. En effet, à un certain moment, certains Evêques ont minimisé cette question d’abus sexuels sur les mineurs commis par leurs clercs, soit en préférant couvrir les clercs suspects, en les envoyant exercer leurs ministères en dehors de leurs diocèses ou de leurs pays, en essayant de calmer ou de tranquilliser les victimes, au lieu de traiter canoniquement les cas qui leur étaient présentés.  Il faut le savoir bien : il y a des cas pour lesquels l’action pastorale ne suffit pas ; des cas qui, pour être traités efficacement, ont besoin d’une action juridique en bonne et due forme. C’est le cas d’abus sexuel sur les mineurs. C’est dans ce sens que nous pouvons comprendre le bien-fondé de ce reproche de Benoît XVI aux Évêques d’Irlande, reproche qui est valable pour à tout Evêque. Il leur dit :

« On ne peut pas nier que certains d’entre vous et de vos prédécesseurs ont manqué, parfois gravement, dans l’application des normes du droit canonique codifiées depuis longtemps en ce qui concerne les crimes d’abus sur les enfants. De graves erreurs furent commises en traitant les accusations. (…) de graves erreurs de jugement furent commises (…) et des manquements dans le gouvernement ont eu lieu. Tout cela a sérieusement miné votre crédibilité et efficacité »[19].

2º. Des procédures inadéquates pour déterminer l’aptitude au sacerdoce et à la vie religieuse (ici il faut considérer surtout la question de la santé psychique du candidat aux ordres et à la vie religieuse[20]).

3º. Une formation humaine, morale, intellectuelle et spirituelle insuffisante dans les séminaires et noviciats ;

4º. Une tendance dans la société à favoriser le clergé et d’autres figures d’autorité ;

5º. Une préoccupation déplacée pour la réputation de l’Eglise et pour éviter les scandales, qui a eu pour résultat de ne pas appliquer les peines canoniques en vigueur et de ne pas protéger la dignité de chaque personne.

   b)  La feuille de route canonique pour lutter contre le fléau

Après avoir compris la gravité de la question d’abus sexuel sur les mineurs, surtout quand cet abus est commis par un clerc, et après avoir vu certains des facteurs qui sont à son origine, il faut maintenant voir les mécanismes qui ont été entrepris par l’Eglise pour y trouver un remède efficace.

Que ce soit pour le Pape François ou pour Benoît XVI, la première attitude à adopter, de la part de toute l’Eglise, c’est d’entreprendre un chemin de conversion, un programme de « purification intérieure et de renouveau spirituel »[21]. Cette attitude, nous disent les Évêques catholiques du Burundi, nous détermine à reconnaître  nos propres péchés et ceux des autres et en demander pardon[22]. Cela est vrai d’autant plus que le crime d’abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs n’a pas entaché seulement l’image propre des abuseurs, sinon qu’il a causé aussi un grand dommage contre l’image exacte de l’Eglise, contre la sainteté et la dignité du sacrement de l’Ordre et contre la perception publique du sacerdoce et de la vie religieuse[23]. Ngo « Umuryambwa aba umwe agatukisha umuryango ! » (hari akantu rero iyo abaryambwa babaye benshi !!!!!). Il faut donc « une Eglise purifiée par la pénitence et renouvelée dans la charité pastorale » (Benoît XVI, lettre, n,6) ce programme devra aller ensemble avec l’autre programme, cette fois-ci concret : celui d’amener les clercs abuseurs à assumer leurs responsabilités, premièrement devant Dieu, et ensuite devant la loi canonique et civile.

Ce programme, comme l’a signalé Monseigneur Charles Jude Scicluna (archevêque de Malte) , pourra être considéré en deux volets principaux, le premier consistant à traiter adéquatement les cas d’abus (procédures canoniques et mise en œuvre des décisions canoniques qui résultent desdites procédures), le deuxième volet consistant à mettre en place des mécanismes appropriés pour prévenir contre ce drame d’abus sexuels commis par des clercs sur les mineurs et pour protéger les mineurs contre ce fléau. Ici nous devons signaler la triple nouveauté introduite par le Pape François :

   1º. Collaboration avec la justice civile : reconnaître que les tribunaux civils ont aussi compétence pour punir ce crime d’abus sexuel sur les mineurs et pour accorder des dommages et intérêts : c’est pour cette même raison que le Pape a levé le secret pontifical pour ces cas (cf. le rescrit du 17 décembre 2019  qui établit que « le secret pontifical ne s’applique pas aux accusations, procès et décisions » qui concernent les violences sexuelles  commises par des clercs sur des mineurs, des personnes vulnérables ou placées sous leur autorité, la dissimulation de tels faits par la hiérarchie et la détention de matériel pédopornographique ; les informations sur ces faits seront davantage rendues publiques);

    2º. La mise en place dans les diocèses, des dispositifs ou centre de signalements et protection des données. Cela nous le trouvons dans Vos Estis lux mundi, art.2 &1. Le Pape précise : « …….les diocèses ou les Eparchies doivent mettre en place, individuellement ou ensemble, dans le délai d’un an à partir de l’entrée en vigueur des présentes normes, un ou plusieurs dispositifs stables et facilement accessibles au public pour permettre de présenter des signalements, notamment à travers l’institution d’un bureau ecclésiastique approprié ».  Ces centres de signalement serviront à accueillir toutes les dénonciations faites en rapport avec les abus, en vue de faire un premier discernement des cas probables d’abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs. Cela va de pair avec le programme d’ordre pastoral d’informer les fidèles de leur devoir et droit de signaler toute inconduite sexuelle remarquée de la part des clercs : fournir toutes les informations et les données sur les dangers d’abus et leurs effets, sur la façon de reconnaître les signes d’abus et la façon de signaler des soupçons d’abus ;

     3º. L’obligation de tout clerc ou religieux de signalement chaque fois qu’il a connaissance d’un probable cas d’abus sexuel commis par un clerc (cf. Vos Estis Lux Mundi, art. 3&1). Cela implique la sensibilisation et la formation continue de la part des Évêques, des supérieurs religieux et des clercs sur les causes et les conséquences d’abus sexuels commis par des clercs à l’égard des mineurs, ainsi que leur impact très négatif sur l’image de l’Eglise, sur l’identité et la mission du prêtre, ainsi que sur le sacrement d’Ordre.

    c) La responsabilité de l’Evêque dans la lutte contre les abus sexuels commis par des clercs

Dans ce programme de lutte contre les abus sexuels commis par des clercs sur les mineurs, on doit noter le rôle irremplaçable de chaque Évêque dans le diocèse. En effet, tous les mécanismes évoqués se concrétisent dans des Eglises particulières « dans lesquelles et à partir desquelles existe l’Eglise Catholique une et unique »[24] et,  à la tête de chacune d’elles, est mis un Évêque (ou son équiparé) comme pasteur propre. Comme le rappelle la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, « l’obligation de donner une réponse adéquate aux cas éventuels d’abus sexuels commis à l’égard de mineurs par des clercs dans son diocèse, figure parmi les responsabilités importantes de l’Evêque diocésain, en vue d’assurer le bien commun des fidèles, et la protection des enfants et des jeunes en particulier. Cette réponse implique la mise en place de procédures appropriées pour aider les victimes de ces abus, ainsi que la formation de la communauté chrétienne en vue de la protection des mineurs. Elle devra assurer l’application de la législation canonique en la matière et simultanément tenir compte des dispositions du droit civil. A travers de la personne de l’Évêque ou de son délégué, l’Eglise doit se montrer prête à écouter les victimes et leurs familles, ainsi qu’à s’engager à leur fournir une assistance spirituelle été psychologique »[25].

Plus concrètement, les Évêques, chacun dans son diocèse, devront :

1º. Se rendre toujours disponibles, par eux-mêmes ou par leurs délégués, á écouter les victimes d’abus et leurs familles, en leur démontrant la compassion, en les réconfortant, et leur fournissant une assistance spirituelle et psychologique : en effet, comme l’a rappelé le Pape Benoit XVI, les abus sexuels commis par des clercs violent profondément la dignité des victimes et trahissent gravement leur confiance. Il faut donc, dans chaque diocèse, un plan pastoral d’accompagnement, de protection et de soin des victimes, en leur offrant tout le soutien nécessaire qui conduit à une guérison complète ;

2º. Mettre en place un plan diocésain de protection des mineurs : il s’agit d’inventer des programmes éducatifs de prévention en vue d’assurer un « environnement sûr et sain » pour les enfants, pour que leur innocence soit sauvegardée. Ces programmes seront organisés pour tous les protagonistes dans la protection des enfants à savoir les agents pastoraux, les parents et ceux qui travaillent dans les milieux scolaires.

3º. Revoir la formation des futurs prêtres et religieux : dans son discours aux cardinaux des Etats Unis d’Amérique du 23/4/2002, le Pape Jean Paul II disait : « il n’y a pas de place dans le sacerdoce et dans la vie religieuse pour quiconque pourrait faire du mal aux jeunes » (cf. n.3). Ainsi donc, à côté des indications se trouvant dans Pastores Dabo Vobis et Ratio Fundamentalis, on veillera, dans la formation des futures prêtres et religieux, à fournir davantage à ces candidats une saine formation humaine et spirituelle, à les aider à apprécier la valeur de la chasteté et du célibat sacerdotal, les aider à prendre conscience des responsabilités liées à la paternité spirituelle du clerc. Les séminaristes et les novices seront informés sur les dangers et la gravité des abus sexuels, et de leur impact négatif sur la vie individuelle et communautaire. On introduira, dans leur formation, des programmes de formation initiale et continue pour consolider leur maturité humaine, spirituelle et psycho-sexuelle, ainsi que leurs relations interpersonnelles et leurs comportements ; on procédera à une évaluation psychologique des candidats au sacerdoce et à la vie consacrée par des experts qualifiés et accrédités (à ce propos, lire encore Ratio fundamentalis, ns. 191-196).

4º. Accompagner les prêtres : le Pape François, dans l’un de ses messages aux Évêques, disait : « le prochain le plus proche de l’Évêque est le prêtre !! ». Ainsi donc, en tant que père mais aussi frère de ses prêtres (Lire Vatican II, LG.28 ; CD.28 ; PO. 7), l’Evêque devra être tout proche de chacun de ses clercs, en cherchant à connaître sa vie, ses joies et ses préoccupations, ses charismes et ses faiblesses, et cela à travers un dialogue sincère et fraternel. L’Évêque renforcera la formation permanente pour ses clercs, en mettant l’accent sur l’importance de la prière et de la fraternité sacerdotale, sur la charité pastorale ; en insistant aussi sur les dommages que causent les abus sexuels sur les mineurs commis dans l’Eglise.

A l’égard d’un clerc accusé d’abus sexuels, l’Evêque saura que ce clerc continuera à jouir de la présomption d’innocence au moment de l’enquête ainsi que pendant tout le procès, jusqu’à la preuve du contraire, « même s’il peut, par mesure de précaution, limiter l’exercice de son ministère, en attendant de clarifier les accusations dont il est l’objet ». Même si de graves soupçons pèsent sur ce clerc et qu’il y a obligation d’entamer des procédures canoniques qui s’exigent, l’Évêque gardera, à l’égard de celui-là une attitude miséricordieuse et de compassion, en sachant que malgré cette situation douloureuse dans laquelle se trouve, ledit clerc reste toujours son fils pour lequel, au nom de la sollicitude paternelle, il est appelé à prier pour qu’il ne désespère pas, et surtout pour qu’il se convertisse intérieurement (Lire Sacerdotalis Caelibatus, ns. 94-95 ; Apostolorum Successores, n.81 ; Pastor Gregis, n.47 ; V. NIBARUTA, Le lien juridique…, pags. 232-233). A propos des prêtres qui traversent des situations douloureuses, entre autre la situation de scandales, le Pape Paul VI rappelait aux Evêques ce qui suit :

« Et si, à un certain moment, vous êtes contraints de recourir à votre autorité et à une juste sévérité envers le petit nombre de ceux qui, après avoir résisté à votre cœur, causent par leur conduite le scandale au peuple de Dieu, ayez soin en prenant les mesures nécessaires, de viser avant tout à obtenir le repentir. A l’imitation du Seigneur Jésus, Pasteur et Évêque de nos âmes (1P.2,25), ne brisez pas le roseau déjà froissé, n’éteignez pas la mèche qui fume encore (Mt. 12,20) ; guérissez les plaies comme Jésus (…), sauvez ce qui était perdu (Mt. 18,11), allez, avec anxiété et amour, à la recherche de la brebis perdue pour la reporter à la chaleur du bercail (LC. 15,24ss) et tentez comme lui jusqu’à la fin (LC. 22,48)…) de rappeler l’ami infidèle »[26].

Et s’il trouve que, après enquête ou procès canonique, le clerc avait été injustement accusé, l’Evêque veillera à ce que sa bonne réputation soit convenablement réhabilitée.

5º. Consolider la collaboration avec toutes les personnes de bonne volonté et avec les opérateurs des médias afin de reconnaître et de discerner les vrais cas des faux cas,  de distinguer entre accusations et simples calomnies, en évitant des rancœurs et des insinuations, des rumeurs et des diffamations[27].

6º. Elaborer, lui seul ou ensemble avec les autres Evêques de la Conférence Episcopale, un « vade mecum » qui spécifie les démarches à entreprendre dans tous les moments clés de l’apparition de cas d’abus sexuel commis par un clerc à l’égard des mineurs : c’est ce qu’ont fait les  Évêques Catholiques du Burundi,  en élaborant des « Directives relatives aux abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs au Burundi », directives approuvées par la CECAB dans l’assemblée plénière du 4 au 7 juin 2013, mais qui ont été rendues publiques le 9 juillet 2019.

B. Directives de la CECAB relatives aux abus sexuels sur les mineurs commis par des clercs au Burundi

Le livret qui contient les directives de la CECAB en rapport avec les abus sexuels commis par des clercs à l’égard des mineurs contient 26 articles repartis en 5 chapitres.

- Le premier chapitre nous parle des principes fondamentaux : dans ce chapitre, on rappelle l’identité et la mission de l’Eglise : L’Eglise, étant « le sacrement universel du salut », a comme mission de prendre soin de toute personne humaine, « mais plus particulièrement des plus petits et des innocents sans défense » (art.1&1).

Ainsi donc, le phénomène d’abus sexuel sur des mineurs, et surtout quand ce crime est commis par des membres du clergé, se pose comme un nouveau défi à cette mission de l’Eglise (art.1 &2). Alors l’Eglise au Burundi, convaincue que sa mission s’inscrit dans celle de l’Eglise universelle, se sent obligée de réagir elle aussi face à la situation créée par ce fléau d’abus sexuels sur les mineurs, en menant « une réflexion sérieuse sur les abus sexuels, sur les souffrances qu’ils entraînent sur les victimes et les auteurs de ces crimes, sur les possibles compromissions et culpabilités de la part des membres du clergé » (art.1 &3).

Les Évêques Catholiques du Burundi soulignent dès le départ la complexité de la question. Ils disent :

« Comme responsables de l’Eglise au Burundi, nous savons qu’une des difficultés en rapport avec les abus sexuels réside dans le fait que tout ce qui est en rapport avec le sexe reste encore, dans la vie sociale comme dans la vie chrétienne, du domaine du tabou. Une autre difficulté, tout aussi grande, se rapporte à la place et au rôle du clergé dans notre société » (art.1 &3).

Concernant cette place du clerc dans la société burundaise, nos Évêques soulignent que les prêtres continuent à jouir encore « d’une grande respectabilité » dans la société burundaise, malgré la montée des courants de remise en question dus aux idéologies liées à la « nouvelle éthique mondiale » (art. 2 &2).  Cette respectabilité de la part du clerc dans la société burundaise peut se présenter comme une épée à double tranchant, raison pour laquelle les clercs sont appelés à la vigilance. En effet, avertit la CECAB,

« Si d’une part, cette position respectable et appréciable est à l’honneur de nombreux membres du clergé qui vivent avec cohérence leurs engagements sacerdotaux, elle doit, d’autre part et en même temps, appeler sans cesse à la vigilance et à la responsabilité, pour discerner à temps les signes d’éventuels comportements sexuels déviants de la part de quelques membres du clergé. Puisque le clerc est souvent en relation de confiance, il lui incombe de ne pas laisser cette confiance glisser dans l’ambigüité et finalement dans l’exploitation nocive de l’innocence du confident » (art.2 &3).

A côte de ces deux difficultés déjà évoquées dans notre société, il faut aussi noter « la culture du secret jusqu’à l’omerta » (loi du silence enjoignant de ne jamais révéler, par exemple, l’auteur du délit), sans oublier la « tendance à exagérer dans le respect révérencieux réservé au notable, qu’il soit administratif ou religieux » (art. 3. &4).

Une autre chose, non moins importante, que les Évêques Catholiques du Burundi soulignent, est que maintenant on ne trouve pas toujours au Burundi un environnement idéal et sain pour les enfants. En effet, des faits nouveaux et inquiétants commencent à surgir ici et là, des cas d’abus sexuels et de pédophilie sont recensés périodiquement dans des ménages, dans les écoles et dans les villages.  Dans son message du 28 janvier 2019 aux membres du clergé et aux personnes consacrées, la CECAB avait déjà fait allusion à cette triste réalité quand elle disait :

« (…) la question des abus sexuels perpétrés par diverses catégories de personnes est devenue malheureusement une réalité. Pour s’en rendre compte, il suffit de considérer les grossesses précoces en milieu scolaire parfois imputés même à des enseignants, les violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants et des jeunes, les cas d’inceste sur les mineurs relevés ici et là » (n.14).

Alors, nos Évêques se posent et nous posent cette question : « Les membres du clergé, immergés dans une société qui subit la déstructuration des valeurs familiales et qui exaltent les choix individuels, utilitaires et hédonistes, seraient-ils à l’abri de tels comportements ? » (Art.3 &5).  Ici nous reprenons le message de la CECAB déjà évoqué pour essayer une réponse à la question. La CECAB dit :

« Dans ce contexte, il serait difficile de penser qu’il n’y ait pas de cas d’abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience imputables aux membres du clergé et des instituts de vie consacrée. Des indices d’ailleurs le montrent chez un certain nombre de prêtres, de religieux et de religieuses qui abandonnent leur état de vie. Il y a aussi quelques plaintes, bien que timides, de la part des fidèles et des présumées victimes » (art. 14).

C’est cela même qui doit pousser nos pasteurs à être plus vigilants et à mettre en place des mécanismes pour lutter contre ce crime d’abus sexuels, en traitant adéquatement et dans la transparence les cas existants et en instaurant une pastorale de prévention et de protection des mineurs (art. 7). Cet engagement à la transparence se concrétisera surtout dans la coopération avec toute la société burundaise en général, et en particulier avec les autorités publiques et la justice civile dans le traitement des cas (art.8)

- le deuxième chapitre est réservé aux définitions : dans ce chapitre, on nous donne les acceptions des concepts clés comme « mineur » (art. 9), « délit d’abus sexuels commis par des clercs sur des mineurs » (art.10), la conception de ce même délit selon la loi civile burundaise (art. 11), ainsi que la prescription pour ce délit dans la loi ecclésiastique et civile (art 12). Tous ces concepts ont été vus dans la première partie de notre exposé. Seulement, il faut noter que quant à la prescription, le Code pénal du Burundi précise et dispose que  les peines prévues par les dispositions sur le viol des mineurs sont incompressibles, imprescriptibles, inaministiables et non graciables (art. 559 du Code pénal burundais).

- le troisième chapitre nous parle des procédures canoniques : il s’agit des mêmes procédures qui nous sont proposées par le droit pénal canonique (cf. cans.1717-1731) ainsi que les normes contenues dans le motu proprio Sacramentorum Sanctitas Tutela. Il faudra toujours rappeler que le délit en question est réservé à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, qui agit dans cette affaire en un véritable « Tribunal Apostolique Suprême » (art.13). Néanmoins l’enquête se fait au niveau du diocèse, enquête qui est menée par l’Evêque lui-même ou par « une autre personne idoine » désignée par lui-même.

Quand l’Évêque décidera-t-il s’il faut commencer l’enquête sur un possible délit d’abus sexuel sur mineurs commis par un clerc ? Chaque fois qu’il aura connaissance, au moins vraisemblable, de ce délit (cf. can. 1717 &1). Et que veut-on dire par cela ? C’est-à-dire qu’à partir des informations, dénonciations ou rumeurs bien fondées dans la communauté, l’Evêque pense qu’il y a eu éventuellement commission d’un délit d’abus sexuel. On est vraisemblablement devant un fait délictueux : c’est ce qu’on appelle le « fumus verifacti ». S’il y a ce « fumus verifacti », alors l’Evêque pourra engager, par lui-même ou par quelqu’un d’autre désigné par lui, l’enquête préliminaire. Toutefois, on saura que toute information, toute dénonciation, toute rumeur en rapport avec la possible commission du délit d’abus sexuel, faite à l’évêque, sera considérée purement et simplement à titre informatif et non comme preuve, ce qui pousse à ne jamais considérer le clerc dénoncé ou sur qui repose de soupçons ou rumeurs déjà comme coupable du délit ; au contraire il devra continuer à jouir de la présomption d’innocence jusqu’à la preuve du contraire. C’est pourquoi on précise que « dans le déroulement de l’enquête sur les faits, l’Ordinaire devra veiller à ce que la bonne réputation du clerc ne soit pas compromise » (art. 14 &4 // can. 1717 &2). Le résultat de l’enquête est envoyé à la CDF qui décidera sur la procédure suivante (SST, art. 16).  L’enquête préalable ne sera pas nécessaire lorsque les faits sont évidents (indéniables) et que le délit est notoire. Dans ce cas, l’Évêque défèrera directement le cas à la CDF.

Qu’est- qu’on fait dans l’enquête préalable ? On cherche à déterminer la réalité du fait délictueux, l’imputabilité juridique (responsabilité) du clerc dénoncé, ainsi que les circonstances dans lesquelles le délit a été commis.

Même si on évoque la présomption de l’innocence jusqu’à la sentence condamnatoire, vu la gravité du délit d’abus sexuel sur les mineurs, et surtout quand l’auteur est un clerc, on prévoit des « mesures de précaution » quand l’enquête préalable a commencé, des mesures qui sont en défaveur du clerc, même si celui-ci est considéré jusqu’à ce moment comme innocent. Ces mesures pourront être : écarter le clerc accusé du ministère sacré ou d’un office ou d’une charge ecclésiastique ; lui imposer ou lui interdire le séjour dans un endroit ou un territoire ; lui défendre de participer publiquement à la célébration eucharistique et à d’autres célébrations liturgiques15 &2) : ici c’est à l’Évêque de déterminer la mesure qui convient.

Dans ce même chapitre, la CECAB souligne le droit qu’a tout mineur, « baptisé ou non » de recourir à l’Évêque pour dénoncer, par lui-même ou par intermédiaire des parents, tuteurs ou curateurs, le clerc qui l’a abusé. Dans ce cas, l’Evêque veillera, par des mesures adéquates, à la protection de la victime, en évitant surtout qu’il y ait contact entre l’accusé et le dénonciateur (art.16). Il est souligné aussi le droit du clerc accusé à l’assistance juridique, son droit à la réhabilitation et à la réparation lorsqu’il est accusé injustement, mais aussi son devoir de « répondre lui-même aussi bien au tribunal ecclésiastique qu’au tribunal civil » et de payer personnellement tous les frais liés à la thérapie et indemnisation du mineur abusé, lorsqu’il est inculpé (art. 17).

- Le quatrième chapitre concerne l’attention pastorale à la victime et à l’accusé : Il est aussi souligné, dans ce chapitre, la psychothérapie et assistance pastorale de la part des mineurs victimes d’abus sexuels, mais aussi l’assistance thérapeutique et pastorale de la part des clercs abuseurs :

Envers les victimes d’abus sexuels, cette assistance consistera à les écouter et à les accompagner (création de la commission nationale et diocésaine ad hoc), en vue de « les remettre debout et à les rendre sûres d’elles-mêmes, jusqu’à les amener à assumer la responsabilité de dénoncer elles-mêmes ceux qui ont abusé d’elles » (art.18). Quant aux clerc abuseurs, leur assistance consistera surtout à faire tout pour qu’ils continuent à être traités avec respect dû à toute personne humaine, qu’ils jouissent de la présomption d’innocence  jusqu’à la sentence, qu’ils puissent bénéficier de soutien économique pour leurs besoins, qu’ils bénéficient d’aide psychologique s’il y en a besoin, mais aussi qu’ils soient placés hors d’atteinte des mineurs, « pour éviter toute nouvelle possibilité de nuire aux enfants » : « la réaffectation à un ministère ou le transfert à un autre diocèse sont à exclure », si le clerc accusé présente des risques pour les mineurs et pour la communauté (art.19).

- Le cinquième et dernier chapitre nous parle de la prévention des abus et protection des enfants : pour la CECAB, la gestion rigoureuse des cas déjà dénoncés doit être mises en avant, parce qu’elle constitue « une autre forme de prévention, en veillant à ce que l’abuseur déclaré ne puisse récidiver et perpétrer d’autres forfaits ». Mais aussi, souligne la CECAB, « la première forme de prévention reste celle qui cherche à créer les conditions les meilleures pour que les enfants puissent grandir et s’épanouir sans danger d’être abusés sexuellement par des adultes, membres du clergé ou pas », et ce programme devra se concrétiser à travers la formation de toute la communauté, via les cadre suivants : la famille, les communautés ecclésiales de base, les mouvements d’action catholique et autres groupes d’apostolat , les écoles, les petits et les grands séminaires, la formation permanente du clergé (art. 20). Il s’agit d’une formation visant à prévenir les abus et à protéger les enfants, à donner une conception saine et intégrale de la sexualité, à indiquer la place de l’enfant dans la société et ses droits dans la société, ainsi que la gravité des abus sexuels subis par des mineurs. Dans les petits séminaires, « on veillera à donner une éducation affective sexuelle qui intègre la dimension du célibat consacré ». Et pour arriver à tout cela, les Evêques Catholiques du Burundi proposent la création des centres et des programmes de sensibilisation et d’éducation à la sécurité et à la protection des enfants au niveau national, diocésain et paroissial (arts. 20-24).

Un accent particulier est mis sur la formation des candidats au sacerdoce ministériel et la formation permanente du clergé : En ce qui est de la formation dans les grands séminaires, nos Évêques constatent qu’ « une nouvelle prise de conscience de la part de tous ceux qui s’occupent de recrutement, de la formation et de l’accompagnement des futurs prêtres » est plus qu’une urgence. En effet, selon ces pasteurs, « un tournant doit être décidément pris pour qu’émergent « des hommes et des femmes authentiques, généreux, forts, capables de donner leur vie- et beaucoup le font déjà- pour les petits et pour les faibles, et qui ne laisseront personne voler la vie des innocents »[28] » (art. 25 &1). Il s’agit en fait de mettre désormais une « grande attention à l’équilibre psychologique et affectif des candidats aux Ordres », les amener à assumer leur dimension sexuelle « sans refoulement ni dissociation ni dépréciation, à veiller à ce que leur maturité puisse intégrer une attitude juste face à la sexualité. En effet, nous font remarquer les Évêques catholiques du Burundi, « une sexualité mal intégrée ouvre la voie aux compensations et aux diverses formes de transgressions ». Ils soulignent l’importance dans ce domaine de la direction spirituelle sainement vécue, des cours de morale, bioéthique et spiritualité sacerdotale, qu’ils nomment « lieux privilégiés de prévention des abus sexuels commis par des clercs », sans oublier d’autres diverses occasions de dialogue sur les questions en rapport avec la vie sexuelle, le choix du célibat, la gestion de la sexualité, le rapport entre la spiritualité et la sexualité (art. 25 &&1-2). Il faudra aussi, au cours de la formation, insister sur la gravité de la question que ce soit dans le domaine spirituel que canonique (insister sur la chasteté dans le célibat, souligner l’aspect pénal portant sur les délits relatifs au non-respect des exigences du célibat consacré), insister sur le bon usage des moyens de communication sociale, montrer les dangers et les conséquences de la « nouvelle éthique mondiale ». « On leur rappellera assez souvent qu’il faut entretenir des relations saines, prudentes et transparentes, surtout avec des jeunes » (art. 25 &3-4).

Dans la formation permanente du clergé, qui s’avère d’une grande nécessité dans nos jours, il faudra aider les prêtres à prendre conscience de la gravité des abus sexuels sur les mineurs dans l’Eglise et dans la société actuelle, leur rappeler le caractère éminemment sacré du confessionnal et de la direction spirituelle, leur rappeler leur obligation de dénoncer  devant la commission diocésaine ad hoc toute plainte éventuelle en la matière, les inviter à sensibiliser les responsables à différents niveaux (familles, CEB, groupes d’apostolat, écoles,,,) sur la question (art. 26).

Concluons notre exposé par ces paroles de présentation de ces directives : ces directives (ensemble avec la Ligne de conduite pour le clergé diocésain du Burundi, qui constitue la deuxième partie de ce livret) sont « comme instruments pastoraux pour la prévention et le traitement d’éventuels cas d’abus sexuels sur les mineurs, mais aussi pour aider chacun à vivre et à exercer fidèlement son ministère », pour ainsi dire que ces directives, ainsi que toutes les autres normes que nous donne notre chère Mère-Eglise à travers nos pasteurs, que ce soit au niveau universel ou particulier, sur tel ou tel autre aspect de la vie sacerdotale,  ont une unique et ultime finalité : Aider chacun de nous à vivre et à exercer  fidèlement notre ministère, ceci pour le salut toutes les âmes, qui doit toujours être dans l’Eglise la loi suprême  (can. 1752).

 Abbé Dr Viateur NIBARUTA

 

[1] . Le même Code prévoit l’expulsion du membre d’un Institut religieux coupable de ce délit (cf. can. 695, &1).

[2] . “Nul ne sera puni à moins que la violation externe de la loi ou du précepte ne lui soit gravement imputable du fait de son dol ou de sa faute ».

[3] . Le Code, quant à lui, prescrivait 5 ans (cf. can. 1362 &1,2º ; can. 1363).

[4] . Cf. F. Lombardi, Signification de la publication des nouvelles “Normes sur les délits les plus graves » : même si on précise que c’est « dans des « cas particuliers », la pratique habituelle de la CDF est la déroger presque toujours, dans les cas où on constate que l’action criminelle a prescrit utilement (peut être que c’est à cause de la gravité du délit !!)

[5].François,VosEstis Lux Mundi, art. 1 &1, a,ii.

[6] . ídem, art. 1&1, a,iii.

[7] . lire le can. 97 &1.

[8] . Parce que tout enfant est mineur, bien que tout mineur n’est pas enfant (lire le deuxième paragraphe du canon 97)

[9] . Directives, n.9, &2.

[10] . Pour une meilleure compréhension, lire, V. NIBARUTA, Le lien juridique de la fraternité au sein du Presbyterium diocésain : Etude à partir du premier paragraphe du canon 275 du Codex Iuris canonici de 1983, Buenos Aires 2017, pags. 192-194.

[11] . Benoit XVI, lettre pastorale aux catholiques d’Irlande, n.2.

[12] . CECAB, Directives, 2 &1.

[13] . Benoît XVI, Lettre pastorale., n.7

[14] . Expression utilisée par Anita BOURDIN dans son reportage de l’intervention de Mgr. Charles Jude SCICLUNA, archevêque de Malte, dans le sommet de Rome sur la Protection des mineurs (21-24 février 2019), cf. https://fr.zenit.org/articles/protection-des-mineurs-traitement-des-cas-de-crise-liée-aux-abus-sexuels-et-prevention-des-abus-par-mgr-scicluna-texte-complet/,23/02/2019.

[15] . Benoît, lettre, 4ª.

[16] . bien que le Pape le dise dans un contexte de l’Eglise en Irlande, on voit bien que cette vérité peut être appliquée universellement dans toute l’Eglise.

[17] . Benoît XVI, 4b.

[18] . Benoît XVI, 4a

[19] . Benoît XVI, lettre, 11.

[20] . Lire Ratio Fundamentalis, ns.191-195

[21] . Cf.  Benoît XVI, Lettre pastorale, n.11 ; François, Lettre au Peuple de Dieu du 20/8/2018.

[22] . Cf. CECAB, message…, n.20.

[23] . cf. Benoît XVI, n.7

[24] . can. 368.

[25] . CDF, Lettre circulaire pour aider les Conférences épiscopales á établir des directives pour le traitement des cas d’abus sexuel commis par des clercs à l’égard de mineurs, Rome, 3/5/2011.

[26] . Paul VI, Sacerdotalis caelibatus, n.94.

[27] . cf. François, Discours à la curie romaine, le 21/12/2018.

[28] . Di NOTO, F, “Pédophilie: le danger d’une société pédophobe » : WWW.Zenit.org (7 février 2012).